Les Baronnies dans la littérature




Pierre Magnan a situé son  roman « Laure du bout du monde » dans les Baronnies. 
Pour lui, le bout du monde est un endroit isolé qui se situe à la limite du département de la Drôme, dans le petit village d’Eourres dans les Hautes Alpes. Les montagnes n’ayant pas de frontière, les Baronnies se moquent bien de cette ligne imaginée par les hommes. Elles se ressemblent que ce soit en Drôme ou dans les Hautes Alpes. Ce bout du monde se situe entre Séderon et Sisteron. Pour y aller, on peut emprunter la route passant par Eygalayes et par Lachau; puis il faut abandonner la départementale menant aux gorges de la Méouge pour s’enfoncer dans la montagne dans un cul de sac. Le paysage est façonné par des collines aux formes abruptes, recouvertes de chênes verts (appelés yeuses en provençal) interdisant l’accès aux pas des Hommes.( Les extraits du livre de Pierre Magnan sont écrits en bleu).



"A Eourres, le surplombant, s’élèvent deux collines, parfaites pyramides, mais trois fois plus hautes que celles d’Egypte, abruptes sur tous les dièdres, fourrées d’yeuses moutonnant serrées comme la laine tondue."
"Ces collines sont labourées de grandes balafres livides portées comme des coups de griffes par quelque ennemi vindicatif. Elles sont stériles de haut en bas, sans un arbre, sans une herbe, noires quand la pluie s’en mêle. Ce sont des roubines. Parfois, le sommet fragile d’une de ces roubines supporte une table calcaire qui s’est fichée horizontale, au hasard de la pente."

Naître à l’époque de l’après-guerre (1950-1960) et dans cette région, n’est pas une sinécure. Laure est née avant termes, bébé non désiré par une mère qui s’en désintéresse totalement. L’histoire décrit les difficultés de cette enfant qui va évoluer dans une famille de paysans dont la priorité est la subsistance de la tribu familiale, loin de se soucier de sentiments et d’amour. Sauvée par la solidarité des femmes : ses tantes et grand-mère, puis des femmes du village, sa destinée sera  décidée par le patriarche, son grand-père. Elle deviendra bergère.



une ferme d'Eourres

"Le berger est au bord de la société. Il passe pour inculte, grossier, sale, il n’aime pas les loups, on ne l’imagine, lorsque le troupeau chôme et se rassemble en cercle parfait, qu’allongé à demi sous l’ombre d’un hêtre et tirant sur un mégot qui le mènera au tombeau bien avant l’heure. Un berger, c’est quelqu’un qui prend le soleil, alors personne ne veut être berger."



Mais c’était sans compter sur la curiosité de la petite et sa détermination. Laure, en toute liberté, découvre la nature qui lui offre sa beauté et l’incite à poser beaucoup de questions.

" Ces poiriers qu’elle considérait comme des agrès de haute voltige, Laure les célébrait une fois par an. C’était un mystère qu’il fallait guetter patiemment car la veille encore rien n’était perceptible… Alors, le bourdonnement d’innombrables abeilles la réveillait. Les poiriers étaient en fleur. C’était le seul luxe de ce paysage tragique où soudain éclatait en fanfare la beauté à l’état pur. »
« Laure regardait interdite cette mère qui ne voyait pas les poiriers en fleurs, qui ne savait pas en être consolée. Elle avait le cœur gonflé de pitié pour cette femme et elle savait que lui prendre la main ne servirait à rien et qu’aucun mot ne pourrait lui expliquer pourquoi la magnificence de ces poiriers était placée là tout exprès pour les pauvres femmes et que c’était une maladie de ne savoir les aimer."

Auprès de ce grand-père, Laure apprendra à appréhender cette nature hostile mais généreuse à la fois, pour ceux qui apprennent à la connaître. 

"Il avait sauté à pieds joints sur la roubine depuis le rebord du talus. Le sol se déroba sous ses pas. Tout un pan de marne glissa sans bruit comme une avalanche noire le long de la pente. La roubine qui faisait plus de cent mètres de large n’était éclairée que par un seul pissenlit poussé par miracle sur ce désert…… Il enfonça le bras dans le sol jusqu’au-delà du coude, un bras puis l’autre. A genoux, il fouissait la terre comme un blaireau. Il poussa un cri de triomphe. Entre ses mains, il tenait une pierre ovale, grosse comme un melon…..  là-dedans, il y a une poche d’air qui s’est formée il y a dix millions d’années ! Je veux que tu la respires!"

      La chasse à la lèque assurait la subsistance de la famille pendant l’hiver.

"La lèque est un piège gratuit. N’importe quel mort de faim peut en fabriquer dans nos pays à pierres plates. Il suffit de deux petites dalles, l’une horizontale, l’autre au dessus en biais, à peine soutenue par trois bâtons d’amélanchier  bien disposés en croix en équilibre instable. On éparpille trois ou quatre grains de genièvre dont deux rouges si possible pour attirer l’œil. La grive affamée s’abat sur le piège, bouscule les bâtons et tombe assommée par la pierre plate en équilibre."
   
  Et puis, il y avait la lavande…  Avec le tracteur,

" …. tu pourras travailler le champ de l’Aman et celui de la Chandeleur que même avec les trois chevaux, on arrive pas à les labourer tellement ils sont déclives. Tu sais ceux qui sont là-haut, à neuf cents mètres d’altitude, tout ronds si bien que quand tu es au milieu, tu vois pas le bout de chaque côté tellement ils sont en pente d’un côté et de l’autre! Tu repiqueras de l’aspic qu’en ce moment çà se vend bien !....."
" C’était Août. La lavande était reine. Des rives de l’Ouvèze à Egalayes et de Montguers à Chauvac, la montagne était bleue……. 

C’est un travail de forçat que de couper la lavande à la serpe. Il détruit tout le bien-être du corps et vous oblige à penser à lui, depuis le pied toujours en porte à faux sur le talus de binage jusqu’au cou tordu parce qu’il faut regarder le travail de la faucille au ras de la main qui tient la touffe et le mouvement incessant du bras jusqu’à la sacquette qu’on porte en bandoulière et qui s’alourdit. Un corps de dix ans pas encore achevé y prépare pour toujours celui qui fera souffrir soixante ans plus tard. La distorsion anormale des vertèbres, leur position en scolie volontaire pendant qu’elles continuent à grossir et à se développer, tout cela fait que la nuit n’est jamais assez longue pour remettre en place ce que le jour à martyrisé…"
 
" Pour célébrer la récolte où elle avait tant participé, Laure en avait mis une goutte sur son doigt qu’elle avait pressé contre son nez entre les narines. Depuis elle respirait cette odeur si fine, si timide, qui n’appartenait qu’aux lavandes des Baronnies. Elle était capable de distinguer cette marque de son pays entre toutes les fragrances  venues d’ailleurs qu’on lui proposait. La fragrance des lavandes des Baronnies n’est aussi particulière, aussi humaine que parce qu’elle est le fruit de la douleur. Nulle part ailleurs les champs ne sont aussi abrupts, la terre qu’on touche à tout propos si irritante, si rêche dans son aridité. Nulle part ailleurs les cueilleurs de lavande n’ont d’aussi pauvres mains."

Laure apprend vite à lire et à écrire. Car, comment peut-on comprendre la vie sans les connaissances ? Pour accéder à l’instruction, elle fera toutes les concessions : elle deviendra bergère, paysanne, plongeuse dans un restaurant. Elle accédera, grâce à toute sa pugnacité et à son amour du savoir, aux hauts lieux de l’enseignement pour sortir des conditions misérables de sa pauvre vie.

" Comment peut-on s’ennuyer? Laure regarde de tous ses yeux, bien que d’Eourres à Buis il n’y ait rien à attendre de nouveau du paysage. Il semble que quelqu’un s’est ingénié dans ces montagnes à y pratiquer des nœuds inextricables, à y rendre l’existence des hommes à peu près impossible, mais Laure a le pouvoir d’être captivée par toute espèce de beauté et celle qui paraissait rejeter l’homme n’était pas la moins passionnante à ses yeux."



Mévouillon
" Elle revoyait le rouquin de dos s’en aller vers Mévouillon avec son cartable et sa valise. Elle n’avait pas besoin de connaître les détails de sa pauvre vie. Elle n’avait qu’à songer à la sienne propre pour la recréer… il avait serré les dents sur la pauvreté. Il s’était dit qu’il s’en sortirait coûte que coûte. Le hasard   lui avait fait le don de comprendre les maths. Il entretenait ce don comme on défend contre le vent la flamme d’une bougie. Laure le revoyait : coupant son pain menu pour l’économiser, mangeant la moitié d’une pomme pour garder l’autre avec soin au fond de son pupitre jusqu’au soir…."

" Ces enfants à peine âgés de onze ans étaient habitués à faire petit, c'est-à-dire à user de tout : nourriture, vêtements, eau et savon, plaisirs et langage, avec parcimonie. Pour ce que rire est le propre de l’homme, il était d’autant plus rare chez chacun de ces écoliers. Les quelques-uns qui étaient aisés paraissaient encore plus pauvres que les autres de crainte qu’on s’aperçoive de leur richesse….. "

" Elle claudiquait encore un peu mais sa riche nature avait eu raison de tout : la charge des sangliers au bord de la roubine qui aurait pu la mettre en pièces; la fracture de la cheville qui aurait pu la laisser infirme; le coup de serpe sur le tibia qui aurait pu se transformer en tétanos; l’aventure du wigwam où elle aurait pu attraper un enfant; le hêtre qui avait failli l’écraser et sa naissance entre vie et mort."

Au milieu de toutes les vicissitudes de sa tendre enfance, Laure rencontrera des personnes qui sauront donner le petit coup de pouce qu’il faut pour changer la trajectoire d’une destinée.

" …si déjà je pouvais faire l’école normale pour être institutrice, ça me suffirait… Et puis je veux rester ici. Laure était pleine d’une tendresse fraternelle pour les Baronnies. Et cela lui aurait semblé une trahison si elle avait dû les quitter."

C’est tout l’amour pour les Baronnies que nous décrit Pierre Magnan dans ce livre. Laure est assez sage pour savoir que le bonheur est ici, dans cette nature dure, revêche mais si belle.

Visitez les couleurs des Baronnies 
 

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